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Strip-tease : « c'est foutrement mon choix de faire ce métier »

J'ai commencé le strip à 19 ans, en première année de fac. L'année d'avant je travaillais au téléphone rose, ça avait été une expérience très intéressante mais j'avais envie d'autre chose. J'ai réalisé qu'il y avait un club de strip-tease dans ma ville, et je me suis lancée.


Dessin : Ophelia L.

C'était un petit club, aux lumières de boîte de nuit. Je suis venue pour mon « entretien d'embauche » un vendredi soir vers minuit. Le patron m'a montré la danseuse tête à l'envers sur la barre de pole dance et m'a dit que dans deux mois je ferais pareil. J'en doutais sérieusement.

L'érotisme me fascinait, mais j'avais passé mon adolescence dans un milieu hippie/punk, et je ne connaissais pas grand chose aux connaissances féminines pour coller aux standards de beauté sociétaux. Ce sont mes collègues qui m'ont appris à mettre du fard à paupière, ou du fond de teint.

Pour avoir travaillé ailleurs par la suite, je peux dire que ce club était assez spécial, car il était spécialisé dans la formation de débutantes, que ce soit au niveau de la danse ou de la stratégie commerciale. De plus, je suis arrivée au milieu d'une vague de nouvelles et on a formé une sorte de petite famille, différente de l'esprit compétitif du « chacun pour soi », qu'on trouve dans de nombreux clubs. Comme je l'écrivais dans mon journal intime : « Dans ce club, on a toutes la tête au travail. La prochaine tenue, la prochaine figure de pole, si ce client va revenir nous prendre cette danse avec champagne. »


Dessin : Ophelia L.

J'ai rencontré par ce milieu de nombreuses amies, ainsi que ma meilleure amie, Ophelia L.. Je suis ensuite sortie du cocon de ce club en France pour en essayer d'autres à travers des voyages : en Guadeloupe, en Belgique, en Suisse, aux États-Unis et en Australie.



Confiance en soi


Dès le début ce monde m'a fasciné, et il m'a apporté énormément. J'ai gagné des compétences sociales, à force d'aller parler à des inconnus tout le temps. Mais aussi de la confiance dans mon pouvoir de séduction. J'ai écrit à mes débuts : « Je comprend à quel point est grand le pouvoir de la femme ». Même si c'était dans un certain cadre, le strip m'a définitivement permis de développer l'expression de ma sensualité, et de tester ses possibles effets. Aussi devoir interagir avec et manœuvrer différents types de clients, certains soûls, très étranges ou simplement antipathiques, donne des capacités très utiles.

Et puis la danse. Cette magnifique danse que l'on apprend, que ce soit au sol, autour de la barre, sur la barre...



Les rapports entre collègues


Le rapport entre collègues est très intéressant dans le strip. Le système est basé sur la compétitivité. De l'argent que gagne ta collègue qui est allée voir ce client en premier aurait peut-être pu être ton argent. Mais au-delà de l'argent, il y a aussi le fait d'être « choisie » ou non. A la fois ce métier flatte l'ego, les compliments abondent et l'homme pour lequel te danse peut te regarder comme si tu étais le messie, et à la fois il expose au rejet, répété, par les hommes. Et on nous apprend, en tant que femmes, que notre valeur passe en grande partie par le regard que posent les hommes sur nous. Il y a donc dans cette danse d'interactions de grands enjeux au niveau de l'estime de soi et du genre.

On apprend à la fois qu'on est belle et désirable, et à la fois que tout le monde ne nous préférera pas, que tout le monde a des goûts différents. Le patron du club où j'ai commencé était malin (pour son business mais cela nous servait aussi), nous expliquant que ça ne servait à rien d'insister infiniment auprès d'un client qui préfère une autre fille, que cela fait perdre du temps et de l'argent à tout le monde.

Certaines danseuses peuvent être très dures envers les autres filles, et les disputes entre collègues ne sont pas rares. C'est pour cela qu'il y a des codes de conduite en strip-tease, par exemple ne pas s'inviter à une table où il y a déjà une fille par client.

Mais on trouve aussi dans ce milieu des amitiés merveilleuses, de la loyauté à ses proches amies, à qui on essaye de faire gagner de l'argent aussi, et puis aussi l'admiration les unes envers les autres en tant que danseuses. J'adore regarder les autres filles danser autour de la barre : même si des mouvements similaires reviennent, chacune exprime en dansant sa propre personnalité, son propre parfum.



Un esprit de revanche


« C'est foutrement mon choix de faire ce métier. Je suis la meuf qui se met à poil. J'ai le pouvoir, j'ai le contrôle. C'est peut-être pour ça que les hommes rabaissent tant les strip-teaseuses et les escorts. Devant elles, ils sont le sexe faible . »

Journal intime, 2011


Dans ce métier, je prenais ma revanche sur deux choses : la société et les hommes. La société en général qui met un tabou sur la sexualité et l'érotisme, disant que ce genre de métier étaient sales, qu'une fille bien n'est pas censé faire ça. Et puis les hommes, et c'est assez commun dans les métiers du sexe. Quand on s'est faites rabaissées, traitées de salopes, non respectées, que les hommes nous ont objectifiées, sexualisées lorsqu'on ne le voulait pas, touché sans notre consentement...

Étant strip-teaseuse, on décide de devenir un fantasme, de se sexualiser de notre propre volonté, personne ne le fait sans notre accord, et on « fait payer » les hommes. L'expression « faire payer » est très intéressante en français, car cela est au sens littéral comme au sens imagé. C'est un espace dans lequel les femmes ont le contrôle, les hommes peuvent être perçus comme affaiblis par leur désir. Je n'étais pas toujours dans cet esprit, fort heureusement. Mais il y avait en arrière-fond comme un goût de victoire, surtout quand le client n'était pas très sympathique, mais qu'il payait quand même.


Dessin : Ophelia L.

Une formation commerciale


Un apprentissage est utile dans le monde d'aujourd'hui, mais c'est la part que j'aime le moins, car elle ne colle pas à mon éthique. C'est la partie commerciale. Pour gagner de l'argent, il faut vendre des shows privés. Il s'agit donc d'aller de tables en tables, de sociabiliser, et de convaincre s'il le faut le client d'acheter. Pour cela tous les coups sont permis : user de son intelligence, de son empathie, de son charme, de son corps. Il était intéressant d'apprendre, mais je déteste vendre. En escort, ne me contactent que les personnes à qui ce que je propose convient, je ne pousse personne à me rencontrer. En strip, même si parfois les clients viennent directement demander une danse à la danseuse, il n'est pas rare qu'ils faillent batailler pour cela.



Des situations très différentes selon les pays


Pour avoir travaillé dans des clubs de différents pays, j'ai pu constater différentes méthodes. Déjà le pourcentage pris par les danseuses sur les shows privés peut varier entre 25% et 70%, ce qui est une énorme différence. Par exemple en france je prenais tristement 30%, contre 70% aux États-Unis ou en Australie. Les ambiances des clubs varient aussi beaucoup, selon la taille, la décoration, les patrons, l'équipe de danseuses. Et un autre détail mais pas des moindres : à quel point les clients peuvent toucher. Selon les endroits, selon les lois relatives à la prostitution, cela peut aller de pas du tout jusqu'à aussi loin qu'on veut dans les pays où il n'y a pas de lignes entre clubs de strip-tease et bordels. Cependant, ce qu'on appelle en général strip-tease n'implique pas de rapport sexuel, mais dans certains pays les clients peuvent toucher. Et là commence un casse-tête au niveau du consentement. Les clubs ne fournissent aucune sensibilisation sur le sujet, n'apprennent pas aux danseuses à sentir quand c'est un « oui » ou un « non », et ne sont en général pas présents pour s'assurer que le « non » est fermement respecté.


Dessin : Ophelia L.

Je suis moins positive à propos de mon expérience en strip-tease qu'à propos de l'escort, mais je suis infiniment reconnaissante pour tout ce que ça m'a appris. Et parfois, l'effet grisant manque, celui de se retrouver sous les lumières tamisées d'un club, entourée de pleins d'autres femmes en sous-vêtement, se demandant quel groupe on va aller aborder, ou prête à monter sur scène pour exprimer un savant mélange de ce que les autres veulent voir de nous et de qui on est vraiment...


« Même si à un moment j'arrête d'être strip-teaseuse, l'avoir été sera une fierté toute ma vie . »

Journal intime, 2012.


Emy Phoenix


Dans mes articles, je fais beaucoup d'affirmations. C'est difficile pour moi car en tant qu'ancienne étudiante en philosophie, je voudrais expliquer en détail ma pensée et donner des arguments solides, mais cela ne convient pas au court format de ces articles. Je voudrais juste préciser que je ne prétend pas dire une vérité générale, juste ma propre vérité à ce moment précis de ma vie, qui va changer et évoluer au fil du temps.

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