Burning Man 2018 : une différente expérience
Je peux être tout ce que je veux être
Ce Burning Man était, comme je m'en doutais, totalement différent du premier. Mon camp me correspondait merveilleusement, parce que je l'avais réellement choisi cette fois. Déjà, il se situait dans le quartier gay. Ce quartier de Black Rock City est aussi le quartier « sex positive », avec une vision positive de la sexualité. Il est entouré de camps fabuleux : le camp tantrique, tous les camps BDSM, des bars fous et atypiques... Dans cet endroit, il est possible de rencontrer tellement de personnes merveilleuses et différentes : tous les genres, les orientations sexuelles, les formes de corps, les âges, les styles vestimentaires s'entremêlent. Et il y a aussi des hommes gay dansant habillés comme des stars. Et j'adore les hommes gay qui s'expriment en dansant.
J'étais donc déjà au paradis. Mais le plus marquant a été l'expérience de mon propre camp, qui accueillait tous les genres sauf les hommes cisgenres (si vous ne s'avez pas ce que c'est, je vais l'expliquer par la suite). Un camp « queer » et « sex positive » qui offrait de nombreux workshops et un espace pour faire des câlins, se reposer ou faire l'amour.

Le choix du genre : un tout nouveau monde de liberté
Je voulais aussi intégrer ce camp pour en apprendre plus sur le genre. J'avais entendu parler pour la première fois du concept de « genderfluid » il y a deux ans. Il y a un an, en Australie, une amie m'a dit qu'elle fréquentait quelqu'un, puis utilisa le pronom « they », donc « ils » ou « elles » en français. J'ai pensé « oh, je ne savais pas qu'elle était en trouple ! ». Elle ne l'était pas. Je venais d'apprendre qu'en anglais, les pronoms « they/them » sont utilisés pour les personnes ne se définissant ni homme ni femme. En français, le plus utilisé est “iel”.
Dans mon camp, tout le monde précisait ou demandait les pronoms à utiliser pour parler de soi et des autres. Pour ceux d'entre vous qui ne sont pas familiers avec tout cela, voici ce que j'ai appris :
Cisgenre : lorsque le genre auquel tu t'identifies est le même que le sexe que tu avais à la naissance.
Transgenre : lorsque le genre auquel tu t'identifies est celui opposé au sexe que tu avais à la naissance.
Genderfluid : Lorsque tu sens que tu peux librement passer d'un genre masculin, à féminin, à neutre...
Non binaire : Lorsque tu ne t'identifies ni homme ni femme.
Et il y a beaucoup d'autres genres dans la non binarité (ni homme ni femme).
Je suis toujours en train d'apprendre, si vous vous y connaissez et que je ne l'ai pas bien présenté, n'hésitez pas à me donner des conseils.
J'ai eu des conversations très intéressantes à ce sujet, et réalisé que ne pas s'identifier comme homme ou femme offre une immense liberté : il n'est plus attendu qu'on se comporte selon un genre ou l'autre. Nous avons de lourds conditionnements à propos de notre genre, donc juste en m'imaginant ne plus les avoir, je me suis sentie soulagée. Car je suis passionnée par tout ce qui me fait gagner plus de liberté intérieure.
Je ne savais pas encore si à un moment j'allais m'identifier complètement comme genderfluid, et me présenter ainsi aux gens. J'y pensais depuis que j'avais découvert le concept, mais une chose me bloquait : comment pourrais-je m'identifier ainsi alors que je ressemble toujours à une femme la plupart du temps, étant même parfois très féminine ? Une amie du Burning man m'a dit : « ce n'est pas à propos de ton apparence, pas à propos de ce que pensent les autres en te regardant. C'est à propos de comment tu te sens à l'intérieur, et c'est ta décision ».
Depuis, beaucoup de choses ont changé par rapport à ça, mais ce sera pour un autre article.
Travail manuel sans hommes cisgenres : un soulagement
Après plusieurs jours construisant le camp, j'ai noté que j'appréciais beaucoup plus le travail manuel qu'habituellement. Je réalisais alors que c'était peut-être parce qu'il n'y avait pas d'hommes cisgenres construisant avec nous.
Pour éviter tout malentendu, ce n'est pas que je n'aime pas les hommes, ou qu'ils font quelque chose de mal lorsqu'ils travaillent manuellement avec des femmes (Pour être honnête, beaucoup d'entre eux font des choses de travers dans ce cas, mais pas mes amis, je suis chanceuse). Non, c'est à propos du conditionnement que nous recevons en tant que femmes. La pensée inconsciente nous chuchote à l'oreille : l'homme saura mieux faire ce travail manuel, et il aura plus de force que toi. Deux solutions s'offrent à nous :
1/ Demander à un homme de le faire, comme le fait souvent ma mère (dans son cas, ce n'est pas qu'elle se sent faible, plus : « pourquoi s'embêter quand un homme peut le faire pour nous ? »)
2/ Refuser d'être cette faible femme, et rentrer en compétition avec l'homme, ne pas montrer que ce sac de rando est en train de vous tuer et qu'il vous faut une pause, ou que vous n'avez aucune idée de quoi faire avec ce stupide marteau.
Dans ma vie, j'ai vécu les deux. Mais pendant ce burn, pour la première fois, j'étais dans le bon espace pour expérimenter de construire des choses avec des personnes que je pensais de force égale, et que si elles s'y connaissaient mieux, c'est uniquement car elles avaient déjà fait cela avant. Je me suis sentie soulagée, puissante, seins nus avec ma visseuse à la main. En effet, je me sens badass juste à y repenser.
Coming out en tant que travailleuse du sexe : un véritable succès
La dernière fois que je suis allée au Burning Man, je cachais beaucoup mon métier. Je parlais du strip-tease, mais pas de l'escort. Et je suis bien plus une escort qu'une strip-teaseuse. Le temps a passé, et je suis devenue de plus en plus transparente à ce sujet, n'ayant plus la volonté de cacher qui je suis. Et spécialement au Burning Man, pourquoi cacher quoi que ce soit ?
Mon camp était très accueillant pour les travailleuses du sexe. Pratiquement tout le monde en connaissait une dans le monde « par défaut », c'est-à-dire en dehors du Burning Man. Une avait même déjà essayé.
Et j'ai trouvé d'autres travailleuses du sexe, grâce à une merveilleuse installation. Elle s'appelait « Love letters for sexworkers ». Les travailleuses du sexe étaient invitées à écrire sur les enveloppes un message positif à propos de leur métier, et les autres pouvaient laisser une lettre de soutien à l'intérieur. J'ai presque pleuré, c'était très beau de voir cela fait pour une communauté qui est tellement jugée et mal comprise. Et j'y ai rencontré des personnes incroyables.
Je suis aussi allée à un wokshop sur être une « slut ». Nous pourrions traduire par « salope » en français, mais j'ai l'impression que le sens de « slut » est moins négatif. Qu'est-ce qu'une « slut » ? D'après la femme animant le workshop : « quelqu'un qui a une vie sexuelle plus active que la tienne ». Nous avons parlé de « slut-shaming », les jugements d'autres personnes sur ton nombre de partenaires sexuels, et de la possibilité de trouver un environnement et une communauté dans lesquels tu pourras vivre en paix ta vie de « slut ». Mais aussi de toutes les choses positives qui découlent d'avoir beaucoup de partenaires : étendre son réseau social, apprendre des choses nouvelles, en apprendre plus sur soi-même, donner du plaisir et de l'affection, rencontrer les autres à un autre niveau,...

Le polyamour arrive pour de vrai
La liberté de connecter avec plusieurs personnes d'une manière saine était très présente dans mon camp. J'ai connecté sexuellement avec une personne, puis j'en embrassais une autre, la première étant contente pour moi. Cette première personne a connecté avec d'autres, et ensuite j'ai connecté avec une avec qui elle avait déjà connecté. Cela vous semble un merveilleux bordel ? Ça l'était.
J'ai aussi eu une sympathique expérience BDSM avec un homme cisgenre, et après le Burning Man sa petite amie m'a écrit pour me remercier du moment que j'avais partagé avec son partenaire, me disant que j'étais une magnifique déesse. Je l'ai remercié de m'avoir remercié, lui disant qu'elle était aussi une magnifique déesse.
J'apprécie juste mon nouveau monde de bisounours.

Me sentir libre, puissante et sexy
Évidemment, il y aurait bien plus à dire au sujet de ce burn. Le souvenir de moi et une amie de mon camp, sur un canapé, observant du sexe hétérosexuel dans un « sex camp » et comparant avec la sex party sans hommes cisgenres de notre camp. Cette expérience BDSM, par laquelle j'ai plus apprécié être dominante et j'ai essayé cette fameuse balançoire. La cérémonie de femmes qui se masturbent ensemble. La première fois que j'ai guidé une méditation de groupe. Comment j'ai parlé de mes croyances spirituelles d'une manière maladroite, et qu'on m'a dit que c'était du « victim-shaming ». Bref.
Ce que je souhaite me rappeler le plus de ce burn, c'est ce sentiment d'être tellement libre, puissance, et sexy. Une femme faisant l'ouverture d'une une sex party dans un camp BDSM a donné cette définition d'être sexy : se sentir « powerful », puissante et assurée, dans son propre corps. Se sentir sexy n'est pas à propos de porter cette robe courte, avec ces haut talons, et ce maquillage, ce n'est pas à propos d'un idéal sociétal de la beauté. C'est relatif à comment on se sent à l'intérieur. A quel point nous sommes confortable dans notre corps, nous l'aimons, nous sentons notre puissance intérieure, et notre désir de jouer avec tout cela d'une manière séductrice. J'étais dans ce désert, seins nus, ou en tenue BDSM, ou avec une grenouillère Bisounours, me sentant sauvage et libre d'être qui je voulais être, et de le montrer au monde entier.
Emy Phoenix